Le 6 août, soit un mois et 6 jours après notre départ, nous arrivons à Vancouver.
Notre destination ultime, que l’on n’osait trop espérer, que l’on ne se donnait pas pour acquise, à laquelle nous avons parfois penser renoncer, alors que nous recherchions un énième garagiste pour Big Boy, alors que nous croisions les doigts pour arriver à Winnipeg, Big Boy toussotant ni peu ni assez...
Mais ça y est, il l’a fait ! Nous l’avons fait, et alors que se dresse la skyline de Vancouver, l’excitation est à son comble.
Mais permettez-moi de garder cet article sur Vancouver pour plus tard !
Car, en bons aventuriers que nous sommes, nous ne nous contentons pas de franchir des lignes d’arrivée : nous allons plus loin que ça !
Et c’est ainsi que nous nous retrouvons sur le ferry en direction de l’Île de Vancouver, avec une passagère en moins et une en plus : nous avons laissé Matoche à l’aéroport et avons récupéré, une semaine plus tard, ma maman.
L’Île de Vancouver est grande comme les Pays-Bas, elle épouse la forme de la côte ouest canadienne, à environ 50km au large. Elle est le premier rempart contre le Pacifique, ses vents, ses tempêtes, et par conséquent, elle essuie toute l’humidité de l’océan.
Nous y passons deux bonnes semaines, nous laissant ainsi le temps de découvrir l’extrême ouest du Canada et ses forêts pluviales. Quatre grandes étapes pour ce périple : le sud de l’île (la côté sud-ouest, Victoria), la côte ouest (Ucluelet), une courte escale dans le centre, au Strathcona Provincial Park puis le nord, à Telegraph Cove.
Le ferry nous dépose dans la partie sud de l’île, près de Victoria (principale ville de l’île et chef-lieu de la Colombie-Britannique). Nous passons les deux premières nuits au camping du Goldstream Provincial Park, qui donne immédiatement le ton de ce séjour : les sapins de Douglas se dressent autour de notre campement et nous surplombent de leur 60m de hauteur, et les cèdres n’ont rien à leur envier, avec leur tronc si large que même à trois, on ne peut en faire le tour. Une rapide promenade le long de la Goldstream river nous mène dans un décor IndianaJonesque : au bout de la rivière, alors que la forêt s’épaissit, se dresse une petite paroi, recouverte de mousse et de lichen, d’arbres qui laissent pendre leurs branches dans le vide. Au pied de cette paroi, une cuvette d’eau cristalline, dans laquelle se déverse doucement une cascade et nagent des écrevissent au milieu de quelques troncs tombés là et lustrés par les eaux. La végétation luxuriante, la pureté de l’eau et les odeurs de humus confèrent à cet endroit quelque chose de mystique. Nous ne résistons pas à l’envie de nous baigner, malgré la fraîcheur de l’eau, et alors que nous nageons dans cette piscine naturelle, on se croirait dans la jungle.
Le lendemain, nous découvrons le East Sooke Provincial Park et randonnons sur le chemin côtier. C’est incroyable de passer par tant d’atmosphères différentes en longeant une côte : des plages comme l’on en voit sous les tropiques, avec le sable clair et les arbres penchés vers l’océan, des sous-bois méditerranéens qui sentent le pin, des rochers déchiquetés contre lesquels l’eau du détroit vient s’écraser puis au détour d’un promontoire, une forêt humide où les fougères recouvrent le sol et où la lumière s’assombrit.
La route qui remonte au nord de Sooke, en longeant le Pacifique nous mène au Juan de Fuca Trail. Un sentier de plus de 40km en bord de plages et au milieu de la forêt. Nous n’entreprenons pas de le parcourir en entier mais cela reste l’un de mes coups de coeur de l’île. Nous découvrons trois plages, trois endroits magiques : China Beach d’abord, à laquelle on accède facilement par un sentier dans la forêt, et qui débouche sur cette plage immense, bordée par les sapins, immenses eux aussi, baignée d’embruns et couvertes de bois flottés avec lesquels les gens ont construit des châteaux et autres forteresses éphémères. Mystic Beach, ensuite; qui porte bien son nom, au bout de 2km enchanteurs dans les bois, avec ses falaises d’où ruisselle l’eau de la forêt. Et enfin, la cerise sur le gateau : Sombrio beach, que l’on découvre par hasard, en cherchant un endroit où passer la nuit. L’accès est moins évident, la piste qui mène au parking est raide et mal entretenue mais le jeu en vaut la chandelle. Une rivière rejoint le Pacifique, séparant cette plage paradisiaque en deux. Nous prenons l’apéro assis sur un tronc gigantesque, charrié on ne sait trop comment par une tempête et échoué sur les galets, sous les arbres aux branches desquels sont installés des balançoires de fortunes.
Et c’est en rentrant au camion, au crépuscule que LA rencontre se produit. Alors que nous traversons le pont suspendu qui enjambe la rivière, je le vois, au bout de la passerelle, à quelque mètres de nous : sa grosse tête noire hirsute, son corps si rond et imposant, et son regard étonné qui se pose sur nous lorsque je m’exclame “oh putain. Adrien, recule!” (s’cuse la grossièreté). Notre premier ours noir, à moins de 5 mètres de nous. Le temps se suspend une fraction de seconde, et le voilà qui fuit déjà dans la forêt, faisant craquer les branches. Le palpitant et l’adrénaline au maximum, nous remontons le chemin à la vitesse de la lumière en chantant de tout notre souffle, pour lui passer l’idée de rester dans le coin. Mais il n’empêche que cette rencontre est un moment drôlement émouvant que nous n’oublierons pas.
Nous retrouvons la civilisation lors d’une courte visite à Victoria. La ville est charmante, avec ses façades colorées, son air british, son port de plaisance, son quartier chinois historique (le plus ancien du Canada je crois) et ses ruelles étroites qui ressemblent à des passages secrets. Le moment marquant de la visite restant tout de même l’exquis Fish’n’chips que nous dégustons à Fisherman’s warf, un quartier de maisons flottantes.
Nous reprenons ensuite la route pour nous rendre sur la côte ouest de l’île, à Ucluelet (prononcez Youcloulette). Il est vrai que ce village de pêcheurs, moins fréquenté que son voisin Tofino (connu pour être la Mecque des surfers canadiens) n’appelle pas à de grandes envolées lyriques mais il s’y dégage un charme et une authenticité indéniables.
Quoi qu’il en soit, l’ambiance change radicalement arrivés là bas : le Pacifique frappant de plein fouet cette côte ouest, la brume voile le ciel une bonne partie de la journée. Mais nous profitons de ce climat océanique pour faire le plein d’iode en se promenant le long des côtes déchiquetées, à la lumière bronze du soleil voilé. Pacifique oblige, nous nous offrons également un saumon pêché du jour que l’on cuit au barbecue ainsi qu’un bout de saumon fumé, qui ne ressemble en rien aux tranches oranges que l’on connaît mais qui se présente ici sous la forme d’un vrai morceau de saumon, épais, qu’il faut couper en lamelles... Hé laï laï... Les mots me manquent pour exprimer ici toute la profondeur et la fulgurance de l’amour que j’ai ressenti pour ce morceau de saumon... Déjà, même cuit, la chair est rouge. Et ce goût... c’est à en faire rougir un vegan, vraiment.
C’est aussi sur la côte ouest, au Pacific Rim National Park que la forêt pluviale prend toute sa démesure. Un sentier sur des passerelles a été aménagé au milieu de cette forêt millénaire qui n’a jamais été touchée par l’homme. C’est simple, il est impossible de distinguer le sol, tant celui ci est recouvert de végétation. Seul le ruissellement de l’eau qui irrigue cette jungle tempérée nous indique que le sol se trouve quelque part sous nos pieds. Au dessus de nos têtes, l’immensité des arbres centenaires sur lesquels poussent les lichens par milliers, les fougères, les orchidées, parfois même d’autres arbres, comme autant de jardins suspendus. Mais le plus spectaculaire, à mes yeux, ce sont ces troncs, tombés voilà plusieurs dizaines, centaines d’années, qui, en se décomposant, redonnent à la terre les nutriments absorbés. Et ces troncs, par la même occasion, servent de supports pour que d’autres arbres et plantes poussent dessus, comme des jardinières géantes. Voir à quel point la nature prospère et s’auto-régule dès lors qu’on lui fout la paix, et l’interconnexion entre tous ces éléments est sans doute la meilleure leçon d’humilité (et de permaculture!) que l’on puisse recevoir.
Après ce bon bain de forêt et d’océan, nous quittons la côté ouest pour aller à l’intérieur des terres, au Strathcona Provincial Park (non sans avoir au préalable fait un arrêt au Mac Millan Provincial Park pour voir... des arbres (de plus de 500 ans quand même !)).
Contrairement à presque tous les parcs du Canada, celui de Strathcona ne dispose pas de véritable centre d’information. Les maigres renseignements que nous réussissons à glâner à la cabane des rangers ne nous permettent malheureusement pas d’y voir bien plus clair sur les randonnées à faire... Nous nous dirigeons donc directement vers notre emplacement de camping et entreprenons une petite balade près du lac pour occuper l’après-midi... jusqu’au soir, car c’est mon anniversaire! Youpi! Apéro-foiegras-crevettes pour fêter ça, sous les sapins, à la lumière des bougies et au son des loups dans les montagnes... Que demander de plus?
Le lendemain, nous tentons quand même de randonner un peu : une première petite boucle nous mène à de superbes cascades tandis que la deuxième balade bien plus courte qu’annoncée est assez décevante. En fait, c’est assez frustrant car ce parc montagneux a l’air magnifique mais il semble que rien n’est fait pour fournir les informations nécessaires aux marcheurs : les temps de marche annoncés ont l’air disproportionnés, la carte des sentiers est juste illisible...
Nous décidons alors de changer nos plans et d’écourter notre séjour à Strathcona pour se rendre au nord de l’île, à Telegraph Cove. Ce petit village isolé est paraît il très mignon et c’est aussi un point stratégique pour voir des orques... Nous faisons donc fi des 4h de route pour s’y rendre et mettons cap au nord.
Une bonne matinée de route dans la pluie et le brouillard nous plonge incontestablement dans l’ambiance “village de pêcheur du bout du monde”.
Nous ne savons pas vraiment à quoi nous attendre lorsque nous arrivons au bout de cette petite route, dans une crique enveloppée dans la brume, éclairée par la lumière tamisée du soleil loin derrière, bercée au son des mouettes et du reflux du détroit de Johnston.
C’est mon deuxième coup de coeur de l’île. L’endroit semble tout droit sorti d’un autre temps et l’atmosphère tranquille qui y règne complète le dépaysement. Des petites maisons colorées, sur pilotis, épousent la forme de la crique, qui abrite un petit port en son coeur. Un promenade en bois permet de faire le tour du village et de voir ces maisons d’époque de plus près. Elles ont été réhabilitées en hôtel et ne sont malheureusement plus habitées à l’année. Toutefois, nous sommes bien loin de la cohue de touristes! Au contraire, les pêcheurs locaux vident leurs (énormes) saumons sur les pontons et la vieille et minuscule scierie est encore en activité.
En outre, c’est peut-être un détail pour vous (mais-pour-nous-ça-veut-dire-beaucoup) : Telegraph Cove, avec ses douze maisons, dispose de douches publiques ouvertes 24h/24, impeccables, chaudes et illimitées pour 1$ (que l’on glisse dans une petite boîte et dont la somme est reversée à une fondation de protection des mammifères marins). En plus, on peut se garer face au port, jour et nuit, pour seulement 5$ par jour. De quoi tomber en amour pour cet endroit.
Et comme si cela ne suffisait pas, laissez-moi vous raconter la rencontre incroyable que l’on a faite avec ma maman. Après le repas de midi, nous décidons d’aller nous promener sur la petite colline qui surplombe le village et donne sur le détroit. En montant le chemin, nous gardons l’oeil ouvert sur les eaux. Quand soudain, un détail attire notre attention : plusieurs bâteaux semblent arrêtés dans la même direction, un peu plus loin sur le détroit. Nous hâtons le pas, et tandis que nous approchons, un souffle se fait entendre. Sous nos yeux, en contrebas de la colline,un groupe d’orques apparaît alors, dévoilant leurs majestueux ailerons noirs et leurs grande paupière blanche. Encore une fois, le temps se suspend et nous restons là à contempler le mouvement fluide du groupe, qui plonge et remonte à la surface, ceindant l’eau de leur aileron, courbant leur dos noir luisant, pour disparaître à nouveau quelques instants.
Il n’en fallait pas plus pour nous convaincre de réserver une excursion en bateau, pour repartir à la rencontre de ces pandas des mers ! Il n’y a qu’une compagnie à Telegraph Cove qui propose ce tour en bateau, beaucoup moins “usine” qu’à Victoria.
Nous embarquons le lendemain en fin de journée, et le spectacle est juste extraordinaire : déjà, la vue sur le détroit, ses inombrables îles, l’île de Vancouver dans notre dos, avec les hauteurs enveloppés dans la brume. Puis apparaissent les grands protagonistes, au bout d’une quinzaine de minutes, les orques, que nous suivons respectueusement, à distance. Vient ensuite le ballet des baleines à bosses, dont nous apercevons d’abord leur souffle au loin, puis le dos, et enfin la queue, si caractéristique. Sans oublier celle qui se jette hors de l’eau et retombe dans un grand fracas aquatique. Enfin, c’est au tour des phoques et des aigles chauves, tandis que nous regagnons Telegraph Cove et passons entre des ilets. Les uns grassement étendus sur les rochers et les autres planant gracieusement au dessus. Vous l’aurez compris, cette expérience est juste incroyablement dingue et nous laisse des étoiles plein les yeux.
Notre séjour sur l’île de Vancouver se termine donc en beauté, le temps pour nous de faire le chemin retour jusqu’au traversier et d’envisager la suite pour les quelques jours qui nous restent avec ma maman.
Après être restés un peu sur notre faim à Strathcona, on aurait bien envie de montagnes... ça tombe bien, au nord de Vancouver, au Garibaldi provincial Park et à Whistler, il n’y a que ça !